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Lettres cachées


Je m’appelle Camille et j’ai grandi dans le sud de la Bretagne avec ma famille. Je suis en réalité née au Vietnam, à Viêt Ngoc, dans la province de Bac Giang à une heure d’Hanoï. J’ai été adoptée à l’âge de 3 mois. Mon nom de naissance était Huyen Nguyen. J’ai un frère, adopté lui aussi au Vietnam avant moi. Mon adoption est assez « atypique » puisque mes deux mères se sont rencontrées.


Mes parents voulaient adopter en Afrique, mais finalement ma mère adoptive est allée au Vietnam. L’orphelinat lui avait d’abord proposé un enfant malade en lui disant que son espérance de vie ne dépasserait pas 20 ans. C’était donc extrêmement dur de se projeter. Ma mère adoptive en a donc parlé à la gérante de l’orphelinat, qui lui a présenté un deuxième enfant qui avait une sœur jumelle. Mais ma mère ne voulait pas être la cause de la séparation. Elle en a donc reparlé à la gérante qui en avait marre. L’orphelinat ne voulait plus lui ouvrir, personne ne lui répondait. Elle faisait aussi face à la barrière de la langue, de la culture. C’est un petit monde, alors toutes les personnes qui se connaissaient à l’orphelinat parlaient avec les autres orphelinats et tous lui fermaient leurs portes à Hanoï. L'hôtel avait gardé ses papiers. Ils étaient en relation avec l’orphelinat et ne voulait pas la laisser repartir en France.


Ma mère est finalement retournée voir les deux enfants qu’on lui avait présentés. Elle était alors amie avec le directeur de l’hôpital australien. Il était la seule personne qui voulait l’aider. Il était en contact avec des personnes qui connaissait une famille qui souhaitait faire adopter un enfant. Ma mère s’est dit que c’était sa dernière chance. Si cet enfant ne lui correspondait pas, elle rentrerait en France sans enfant, après 4 mois éprouvants dans un pays étranger, sans son mari ni son fils.


Le directeur de l’hôpital a donc mis ma mère adoptive en relation avec mon grand-père biologique. Ma mère lui a demandé pourquoi ils voulaient faire adopter un enfant. Mon grand-père biologique lui a répondu qu’il se souciait beaucoup des revenus et du futur de sa famille, surtout qu’il était malade. De plus, la famille avait déjà un autre enfant, ma sœur qui avait alors 4 ans, et ma mère biologique était sourde et muette. Ma grand-mère allait donc se retrouver seule avec ma mère, ma sœur et moi.



« L’adoption au Vietnam, c’est vraiment le dernier cas de secours. Le cas de la dernière chance. »



Ils sont très « famille ». C’est aussi un pays communiste. Ils ne peuvent faire adopter leur enfant que s’ils n’ont pas réussi à le laisser à un membre de leur famille.



Une ruelle au Vietnam


Quand j’étais adolescente, à partir de mes 11 ans, j’idéalisais beaucoup ma vie au Vietnam et ma famille biologique. J’ai toujours su que j’avais été adoptée, je ne me rappelle même pas quand est-ce que je l’ai appris ou compris. C’était pareil pour mon frère. Mais quand j’ai commencé ma crise d’adolescence, j’ai fait face à énormément d’interrogations : « Pourquoi moi ? », « Pourquoi j’ai été adoptée ? ». J'étais entre « enfant rebelle » et « enfant sage ». J’avais beaucoup de colère envers ma mère adoptive. À l’époque, je pensais inconsciemment que ma mère adoptive m’avait séparée de ma mère biologique.



« « C’est un choix qui lui a été imposé ». C’est un sentiment d’injustice que l’on vit quand on est adolescent. »



J’en parlais beaucoup à mes copines au collège, mais elles ne me comprenaient pas totalement et ça me faisait beaucoup de mal. Je me sentais seule au monde, incomprise. Je me rappelle être allée voir l'infirmière pour lui parler. Elle m’a appris à relativiser. Finalement, je me rappelle de cette expérience comme une période qui m’a forgée et qui m’a rendue plus forte.


Je me souviens, pendant mon adolescence, avoir fouillé dans le tiroir de bureau de ma mère adoptive. J’y ai retrouvé une lettre, écrite en français, du guide touristique de l'époque (et également traducteur francophone) qui demandait de mes nouvelles et des nouvelles de mon frère. J’étais déjà dans l’optique de retrouver ma famille biologique, mais je n’en avais pas parlé à mes parents. Avec eux, nous avions plutôt des discussions sur le chemin qu’ils avaient fait pour m’adopter. Je me suis alors rappelée de Mr. Kao, ce guide qui avait été un véritable soutien pour moi pendant le voyage.



« C’est comme si je le connaissais, mais seulement à travers les yeux de ma maman. Je me suis dit avec cette lettre dans les mains « Il existe vraiment ». Il y avait son adresse au Vietnam. Je me suis dit que j’allais lui écrire dans le dos de ma mère adoptive pour lui demander s’il avait encore des nouvelles de ma famille biologique et s’il pouvait organiser les rencontres. »



Il m’a vite répondu, de manière très bienveillante. Il n’avait pas gardé contact avec ma famille biologique car il ne les connaissait pas personnellement. Mais je n’ai en réalité reçu sa réponse que bien plus tard. J’avais 13 ans lorsque je lui ai écrit, mais je n’ai eu sa lettre qu’à mes 18 ans. Ma mère avait gardé la réponse de Mr. Kao secrète. Au fil du temps, j’avais abandonné l’idée de retrouver ma famille biologique. Petit à petit, comme une vague. Mais j’avais toujours un point d'interrogation sur ma famille. Je me sentais moi-même, mais pas complètement.



« Je ne me sentais pas entière. Je me réveillais la nuit et je pleurais car je ne me sentais pas entière ».


Pendant mon lycée, j’ai vécu une période plutôt tranquille, mais toujours avec ces questionnements en moi. Puis j’ai fait un BTS tourisme, mais j’en avais marre de faire des études. J’avais hâte d’arriver à la fin du BTS pour travailler. À cette période, je n’avais à nouveau qu’une envie : retrouver ma famille biologique. J’ai donc décidé de fouiller à nouveau dans le bureau et j’y ai trouvé une lettre écrite en vietnamien, de la part de ma tante qui demandait des nouvelles du bébé et qui donnait des nouvelles de ma famille biologique.


J’ai accueilli cette lettre de manière très mitigée. J’étais contente et en même temps en colère. À ce moment-là, je ne voulais pas en parler à ma famille adoptive, par sentiment de culpabilité. Mais j’en voulais aussi énormément à ma mère de ne pas m’en avoir parlé. Dans cette lettre, ma tante demandait si j’avais appris le vietnamien depuis mes 16 ans, comme ma mère adoptive l’avait promis à ma tante biologique. Pendant plusieurs mois, j’ai éprouvé de la rancœur envers ma mère adoptive mais je n’en laissais rien transparaître.


Un événement a alors bouleversé ma famille. J’ai perdu ma grand-mère adoptive. En parallèle, j’ai commencé à entamer mes recherches biologiques avec un Vietnamien que j’avais rencontré dans un groupe sur les réseaux sociaux et qui m’avait proposé son aide. J’étais dans l’incertitude, mais j’ai quand même tout confié à cette personne. Je suis alors entrée en contact avec une correspondante qui entreprenait un voyage entre le Vietnam du Sud et le Vietnam du Nord. Elle a pris contact avec ma famille biologique grâce à l’adresse que j’avais, celle d’une école primaire dans un village.



Un velo avec un bouquet de fleurs au Vietnam


Ma correspondante a donc demandé à ma famille s’ils se rappelaient de Huyen Nguyen (mon prénom vietnamien). Ils étaient évidemment tous au courant. Elle m’a alors envoyé des photos de ma sœur et de ma mère biologiques pour s’assurer que cette famille soit bien la mienne et non pas des personnes mal intentionnées. J’ai reçu une vidéo de présentation de ma famille avec ma mère biologique, ma sœur et mon neveu.


À ce moment-là, ma famille adoptive n’avait aucune idée de ce qu’il se passait. Le 10 juillet 2017, j’ai rencontré ma famille biologique grâce à un appel. Mes parents adoptifs étaient en vacances et je voulais leur raconter à leur retour. Lorsque je leur ai annoncé, mon père a pris la nouvelle très calmement, il comprenait. Ma mère était quant à elle blessée, mais elle m’a dit qu’elle comprenait et respectait mon choix.


De janvier à mi-mai 2018, je suis partie seule retrouver ma famille biologique. C’est une de mes fiertés personnelles, c’est ça qui fait ma force. Quand je suis arrivée à l’aéroport, il y avait ma famille biologique : ma mère, ma sœur, mon neveu, deux oncles et deux tantes. Au moment de la rencontre, j’étais contente, triste, nostalgique, j’avais aussi de la colère en moi. On s’est fait un câlin toutes les trois avec ma sœur.



« C’est la première fois que je les voyais, mais c’est comme si je les connaissais depuis toujours. »



Toutes les réunions familiales se sont faites chez ma grand-mère. Après l’aéroport, nous sommes allés chez elle et nous y sommes restés toute la journée. Certains sont rentrés chez eux le soir. Moi j’ai vécu chez elle durant les 4 mois et demi que j’ai passé au Vietnam. Il n’y a pas un jour où je n’ai ressenti une forte émotion en moi. Je suis restée très peu en contact avec ma famille adoptive pendant mon voyage, je souhaitais être coupée de la France et me sentir vietnamienne.



« Il faut être dans l’acceptation d’une culture et d’un mode de vie qui n’est pas du tout le même que le tien. »



J’ai appris que c’était mon grand-père qui avait voulu me faire adopter et non ma mère biologique. J’étais quand même un peu hermétique aux actions de ma famille biologique lors de mon premier voyage. Et puis il y a la barrière de la langue. J’y suis allée avec Google traduction et le langage des signes, je n’avais pas de traducteur.


Je suis aussi allée rendre visite à mes oncles dans le sud du pays et j’ai rencontré des proches de ma famille. Je n’ai par contre pas réussi à retrouver Mr. Kao, mais je continue de le rechercher aujourd’hui.


Quand je suis rentrée en France, je me sentais apaisée. Ma famille me manquait. Mes amis me manquaient. Je me sentais bien dans ma peau, à la fois Vietnamienne et Française.



« C'était ce qu’il me manquait pour me sentir entière. »



Je suis très liée avec ma famille biologique. J’ai une relation très fusionnelle avec ma mère et ma sœur. On parle anglais et vietnamien. Je suis retournée au Vietnam l’année d’après pour le nouvel an lunaire, ainsi que l’année dernière pendant deux semaines. Maintenant, je reste chez ma sœur pendant mes voyages.



« Au fil du temps, avec l’expérience, on vit mieux l’adoption, bien que pour certain c’est l’inverse »



Aujourd’hui, je vis très bien mon adoption. À mon retour, j’en ai parlé avec mes parents adoptifs et depuis ça va beaucoup mieux. Ça a consolidé notre relation, surtout avec ma mère. J’appelle ma mère biologique « Mamie » ou « Ba ngoai ». Je ne voulais pas l’appeler maman par rapport à ma mère adoptive. Par la suite, il y a d’ailleurs eu quelques tensions entre ma mère adoptive et moi. Des tensions qui se sont accentuées par mes retrouvailles avec ma famille biologique. J’essaye tant bien que mal de la rassurer. Je vois mes deux familles comme une seule et même famille.


Je projette de faire un voyage au Vietnam avec ma mère adoptive et mon frère, pour rencontrer ma famille biologique, mais sans mon père car il est assez sceptique quant à la culture vietnamienne. Si je devais donner un conseil aux personnes adoptées à l’étranger qui souhaitent retrouver leur famille, ce serait d’être dans un bon état d’esprit, de savoir écouter et d’être ouvertes aux cultures différentes.

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