L’adoption telle que nous la connaissons est interdite dans certains pays de droit musulman. Ces pays disposent bien entendu de leur propre système afin de subvenir aux besoins des enfants abandonnés : la kafala. Cette procédure permet le recueil légal d’un enfant par un couple marié, une femme seule ou bien une institution afin d’assurer sa protection, son éducation et son entretien. La kafala est extrêmement répandue puisqu’elle est pratiquée entre autres en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Syrie, en Egypte, en Arabie Saoudite, en Jordanie, aux Émirats Arabes Unis, etc. Elle est d’ailleurs reconnue par l’O.N.U.
En France, de nombreux enfants, originaires du Maghreb notamment, sont recueillis en kafala par des couples français ayant souhaité recueillir un enfant dans leur pays d’origine, ou bien par des familles qui ont émigré en France par la suite. Il n'est pas rare non plus que leurs parents biologiques les envoient chez des proches pour leur assurer un meilleur avenir. La kafala est donc bien connue des services français, mais sa non-existence juridique en France pose problème. L’appartenance d’un enfant à une famille est souvent questionnée, une situation difficile à vivre, voire traumatisante, pour des enfants ayant pour la plupart déjà connu l'abandon.

La kafala en pratique
La kafala est prononcée par une décision de justice (kafala judiciaire) ou bien inscrite dans un acte notarié (kafala notariée) permettant aux kafils (les recueillants) de prendre l’enfant à leur charge. Les kafils doivent être de confession musulmane et être en moyen de répondre aux besoins physiques et moraux de l’enfant. Ils habitent de préférence le pays dont l’enfant est originaire, mais il n’est pas rare que des couples français retournent dans leur pays d’origine pour recueillir un enfant.
La kafala n’implique cependant que son recueil légal, sa tutelle, elle peut donc être vue comme une simple délégation de l’autorité parentale et est d’ailleurs souvent pratiquée au sein d’une même famille ou entre proches. Alors qu’en France nous pratiquons l’adoption simple (qui maintient la filiation biologique en y superposant la filiation adoptive) et l’adoption plénière (la filiation adoptive remplace la filiation biologique), la kafala ne crée, quant à elle, aucune filiation entre l’enfant et ses tuteurs. Juridiquement on ne peut donc pas parler d’une adoption, mais bien d’un simple recueil. L’enfant conserve son nom et sa nationalité. Il n’est légalement pas un membre à part entière de la famille qui le recueilli. Il garde sa filiation avec ses parents biologiques, qui peuvent exercer un droit de visite, et n’apparaît pas sur le livret de famille de ses tuteurs. La kafala cesse d’ailleurs automatiquement à la majorité de l’enfant. Ceci est aussi valable pour les enfants recueillis car orphelins ou déclarés abandonnés.
Bien entendu, cette distinction est bien souvent purement juridique. Les enfants recueillis dès leur plus jeune âge tissent des liens parents-enfants avec leurs kafils et sont naturellement considérés comme des membres de la famille sans aucune distinction, surtout lorsqu’ils sont de parents biologiques inconnus. Dans certains pays, l’enfant peut d’ailleurs demander à prendre le nom de ses tuteurs et donc le transmettre à son tour à ses enfants. Les tuteurs qui souhaitent faire de l’enfant leur héritier peuvent aussi procéder à une gratification testamentaire. Les familles ne quittant pas le pays ne rencontreront donc aucun problème. Le maintien de la filiation biologique facilite aussi pour l’enfant l’accès à ses origines. La kafala représente donc des avantages et ses inconvénients peuvent être contournés.

La reconnaissance de la kafala en France
En France, la situation peut s’avérer bien plus compliquée. La kafala n’ayant pas d’équivalent français, de nombreux problèmes juridiques ou administratifs peuvent apparaître. Des accords bilatéraux passés entre la France et l’Algérie, le Maroc ou la Tunisie, par exemple, permettent aux décisions de justice prononcées dans ces pays d’être reconnues en France. Les kafalas judiciaires sont donc normalement applicables en France. Malgré tout, certaines administrations demandent quand même une procédure d’exequatur (qui rend exécutoire en France un jugement prononcé à l’étranger) pour reconnaître leur valeur. Les kafalas notariées ne sont par contre pas reconnues, il est donc conseillé de refaire une demande de délégation de l’autorité parentale auprès des tribunaux français par sécurité.
Néanmoins, l’enfant reste considéré comme un tiers de sa famille de recueil. La France pratiquant l’adoption – qui crée juridiquement un lien plus fort entre l’enfant et ses parents en l’inscrivant sur le livret de famille – certaines administrations peinent à comprendre les subtilités de la kafala. Elles ne reconnaissent donc pas les liens familiaux entre l’enfant et ses kafils, une situation extrêmement difficile à vivre.
Dans le cadre du recueil d’un enfant par un couple français, il est recommandé que le couple procède aussi à une demande d’adoption de l’enfant en France dès qu’il aura obtenu la nationalité française afin d’éviter tout problème. Les demandes de nationalité peuvent être accordées aux enfants mineurs recueillis et élevés par une personne de nationalité française depuis au moins 5 ans.
Pour les projets d’émigration, cela est bien plus compliqué. L’enfant, qui n’est juridiquement pas un membre de la famille, ne pourra bénéficier du regroupement familial que si l’intensité des liens affectifs qui les unit est démontrée, prouvant ainsi que ce regroupement familial se fera dans son intérêt supérieur. Si le regroupement familial n’est pas accordé, l’enfant ne pourra demander qu’une carte de séjour temporaire mention « vie privée et familiale » qui ne lui sera pas délivrée de plein droit. Les administrations sont libres d’appréciation et beaucoup rechignent à donner cette carte aux jeunes dont les parents sont restés au pays. Un enfant recueilli dont les parents biologiques sont connus aura donc bien plus de difficultés à obtenir un titre de séjour si ses parents ne sont pas en France.
Ces problèmes administratifs peuvent donc mener dans des cas extrêmes à une séparation familiale. Mais c’est surtout la différence de traitement entre la France et leur pays d’origine qui peut être traumatisante pour les familles. Alors que leur lien n’est nullement questionné dans leur pays, une fois en France la non-appartenance juridique de l’enfant à sa famille de recueil est pointée du doigt. Pour la première fois, l’enfant voit sa place remise en cause.
Alors comment faire ? Pensez-vous que des mesures devraient être mises en place pour que la kafala soit plus facilement reconnue comme l’équivalent d’une adoption en France, du moins pour les enfants orphelins ou déclarés abandonnés ? 📖
Pour plus de renseignements sur la kafala, nous vous invitons à vous tourner vers l’association kafala.fr qui s’intéresse à la question de la kafala au Maroc et de sa reconnaissance en France. 🔍😊
*Sources :
« La kafala ou recueil légal », Droit de la famille des femmes françaises & maghrébines, pp. 235-239. Lien : http://www.cicade.org/wp-content/uploads/2013/09/38-KafalaOuRecueilLegal.pdf Marie-Christine Le Boursicot, « La Kafâla ou recueil légal des mineurs en droit musulman : une adoption sans filiation », Droit et cultures, 59 | 2010, 283-302. Lien : https://journals.openedition.org/droitcultures/2138#quotation