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Je suis le fruit de l'inné et de l'acquis



Je m’appelle Rachel et j’ai 25 ans. Je suis née à Nîmes dans le Gard en France, et j’ai grandi dans une ville voisine, Alès. Aujourd’hui, je vis entre Lille et Bruxelles pour les études et le travail et j’ai décidé d’y rester.


Je suis étudiante en Droit International et Européen et je me suis spécialisée dans les Droits de L’Homme. Je suis également volontaire au sein du Projet Origine, Assistante Juriste dans une ONG, et j’écris pour un magazine féministe anglophone.


Ma famille se compose de mes parents, mes grands parents, beaucoup d’oncles, de tantes et de cousins. Je n'ai jamais utilisé le terme famille adoptive, parce que je ne vois pas ma famille à travers le prisme de l'adoption. Avant cette année, qu'on utilise même ce terme pour me parler de membres de ma famille me semblait grossier, impoli, et m'énervait vraiment. Je suis croyante et pour moi nous suivons la route que Dieu nous a tracé. Dieu avait décidé que j'irais dans cette famille et c'est tout, peu importe que je sois arrivée par voie naturelle, ou par le biais d'un Tribunal. Je le précise aujourd'hui, car comme j'ai retrouvé ma famille génétique, les gens à qui j'en parle se mélangent parfois les pinceaux. Depuis peu ma famille se compose donc de certaines personnes de ma famille biologique, une fratrie, et deux tantes et deux cousines. Je n’ai pas d’enfants.


Je suis née sous X comme pupille de l’Etat sous le nom de “Rachel MARIE” d'une mère française (avec des origines belges et espagnoles) et d'un père sénégalais. Ma mère était atteinte de schizophrénie et ne savait ni s'occuper d'enfants, ni d'elle même. Mon père n'était pas en couple avec elle, et n'a donc pas pu me garder non plus. Ma grand-mère est très immature, et a négligé sa fille, puis ses petits enfants entre autres en les laissant être placés ou adoptés. Après ma naissance, j’ai ensuite été placée en pouponnière, puis adoptée à 3 mois par mes parents. Ces derniers ont décidé de garder le prénom que ma mère biologique m'avait choisi à la naissance. Mes parents ne pouvaient pas procréer biologiquement mais désiraient plus que tout fonder une famille. Ils se sont tournés vers l’adoption, car ils ne souhaitaient pas user de pratiques telles que la GPA ou la PMA.



Je suis la fille unique de mes parents adoptifs ! Mais dans ma famille biologique, j'ai appris récemment que je suis l'avant-dernière d’une fratrie de quatre du côté de ma mère biologique, et l’aînée d’une autre fratrie de cinq cette fois, du côté de mon père biologique. J'ai donc 8 demi-frères et sœurs.



Mon questionnement a commencé dès l’âge de cinq ou six ans. La situation de ma famille biologique était très compliquée, chose que mes parents ne m’ont jamais cachée. Je me demandais très sincèrement si ma mère biologique était encore en vie, et si mes frères et sœurs ne souffraient pas trop, car je les savais placés, et je savais ma mère biologique démissionnaire, malade mentale, et instable. Je savais aussi que, comme mon dossier le précisait, elle buvait et sortait beaucoup, n'avait pas de relation stable, etc. Je me demandais également à quoi mes frères et soeurs ainsi que mes géniteurs pouvaient ressembler, si je leur ressemblais, quel était leur nom... Surtout, je culpabilisais d’avoir une vie “réussie” et épanouie matériellement et sentimentalement avec des parents aimants, quand eux n’en ont pas eu. Mes parents m'avaient expliqué ce qu'était l'ASE (avant cela s'appelait la DDASS), le concept de foyer, et de famille d'accueil, donc je savais que c'était un environnement difficile, étant donné que selon l'INSEE, un quart des SDF sont d'anciens enfants placés, par exemple.


A côté de cela, mon géniteur est sénégalais et il vit entre Dakar et le sud de la France.


Je suis métisse. Je voulais connaître cette partie là de mes origines et de cette culture, afin de mieux vivre ma différence, et le racisme que je subissais à l'école primaire et au collège.

Mes parents ne m’ont jamais caché mon adoption, donc le fait d'un jour faire des recherches était toujours dans un coin de ma tête. Cependant, je pense que la mort de mon père en août 2018 a été un déclic pour commencer le cheminement. La réalité de la vie, à savoir que nos parents pouvaient mourir, m’a frappée, donc j’ai eu envie de m’y mettre de suite, car j’avais déjà 22 ans, et qui sait ce qui avait pu se passer entre 1996 et 2018.


Enfant, j’essayais de comprendre ce qui pouvait amener une mère à abandonner ses enfants et à être si égoïste. Je ne comprenais pas qu’une mère pareille puisse exister quand je voyais des mamans géniales comme ma mère adoptive. Il y avait beaucoup de haine et de colère contre elle, d'incompréhension. Souvent, je leur demandais aussi si, même si j’avais été adoptée, et que je ne leur ressemble pas physiquement, je leur ressemblais mentalement. Je voulais que ma famille me rassure sur le fait que j'étais comme eux et pas comme elle, que je leur ressemblais quand même, qu'ils m'aimaient de la même manière. J’étais aussi très affectée par les circonstances de ma conception, le fait d’avoir été conçue lors d’une simple aventure et pas dans le cadre d’un mariage d’amour. Cela m’a beaucoup affectée car j'ai grandi dans un environnement croyant.


Ce que j'attendais d'elle, c'était une confrontation, la réprimander. La vengeance aussi, en lui montrant ce que j'avais fait de ma vie.

J’ai fini par retrouver ma famille génétique début mars 2021 pour ma famille maternelle, et août 2021 pour ma famille paternelle. Ma famille biologique maternelle est originaire du Nord de la France et de la Belgique et j’ai toujours été attirée par cet endroit, donc j’ai décidé d’y finir mes études et d’y construire ma vie. Par hasard. Et ma petite soeur vivait à seulement vingt minutes de chez moi! L’autre partie de ma famille biologique maternelle est originaire, comme ma famille adoptive et moi même, d’Occitanie, ou en tout cas, y vit encore, et mes frères étaient donc à quelques km de moi depuis le début de ma vie! Quant à ma famille biologique paternelle, j’aimerais peut-être un jour visiter le Sénégal, quand je serais prête.



Quand j'ai commencé mes recherches, je voulais surtout trouver mes frères et sœurs surtout, pour ne pas dire uniquement. Je ne considère mes parents biologiques que comme des géniteurs. Pour moi, personne ne pourra jamais remplacer mes parents, mais également mes grands-parents, mes oncles, mes tantes ou même mes cousins et cousines. Ma famille m'a accueillie à 3 mois, donc je ne me souviens que d'eux. J’étais en colère contre ma mère et avait une vision d'elle assez mauvaise, qui s’est nuancée depuis. Cependant, je savais que pour moi, ma mère biologique avait gâché la vie d’autres enfants. Je voulais les retrouver, et voir s’ils allaient bien. Les aider aussi. Leur montrer que, moi, je ne les avais pas abandonnés comme elle, et n’était pas irresponsable comme elle l’était. Aujourd'hui je me rends compte que c'est une vision assez égoïste.


Pour mon père biologique, honnêtement, je ne m’attendais pas à le trouver un jour. On m'avait dit que c'était seulement un inconnu rencontré en soirée. C'était totalement faux, et plusieurs personnes le connaissaient, lui et son meilleur ami. Il faisait parti du groupe d'amis de jeunesse de ma mère, et son meilleur ami et la meilleure amie de ma mère étaient même témoins du mariage de ma mère biologique et de l'homme qui a reconnu ma plus jeune soeur. C'est inscrit dans son livret de famille. Donc j'étais plutôt en colère. Surtout que ma grand-mère biologique nous cache beaucoup de choses. Mais je n'ai pas lâché, j'ai voulu déterrer ces secrets jusqu'au bout. Je suis encore sous le choc d’avoir réussi. Mais j’avais ce fort désir en moi d’un jour connaître mes racines africaines pour me sentir mieux dans ma peau, et je ne comptais laisser personne m'arrêter ou me décourager! Ces recherches étaient très éprouvantes mentalement, et avec le facteur psychologique, le temps de s’y mettre, de chercher, et de trouver les informations, je dirais que cela m'a pris deux ans et demi.


J'ai du fouiner dans l’administration française. Parfois me heurter à la réticence d'employés municipaux. L'administration met énormément de bâtons dans les roues des Nés sous X en quête de réponses. Ma mère biologique m’avait laissé une lettre qui contenait une photo, son prénom, sa date et son lieu de naissance ainsi qu'une brève histoire de sa vie. J’ai toujours cru à la véracité de ces informations. J’ai donc consulté les tables décennales à la mairie de Douai et ai ensuite trouvé son acte de décès daté du 27 Août 2007. Cela a été un choc. Ensuite, ayant enfin un nom de famille, j’ai épluché des sites de généalogie, les Pages Jaunes, trouvé mon grand frère sur Facebook, et ma petite sœur au feeling, en fouillant dans les amis de mon frère et dans les mention "J'aime" de ses photos.


En voyant ses photos, j’ai compris tout de suite qu’on était soeurs.

Pour mon père, j’ai retrouvé l’ancienne meilleure amie de ma mère sur ce même réseau social, et elle connaissait son meilleur ami. Ils m’ont donc menés jusqu’à lui, puisqu’ils sont encore très proches aujourd’hui. Ils m'ont beaucoup aidée dans les premiers contacts avec ma famille biologique paternelle et ils sont très gentils. Je leur en suis très reconnaissante.


J’ai également fait un test ADN, mais je n’y ai trouvé qu’un cousin éloigné, qui partage, je crois, une arrière-arrière-arrière grand-mère avec moi. Cela m'a cependant permis de découvrir mes origines ethniques avec précision, et je pense que j'en avais besoin.


Le plus dur a été d’apprendre le décès de ma mère biologique, alors que je la cherchais et que, pour être honnête, je désirais lui faire un procès. Cependant, je pense qu’au fond, je m’en doutais. Je suis très réaliste et je sais que les personnes avec des troubles pathologiques psychiatriques qui ont une vie très marginale, de surcroît dans un milieu populaire, n’ont pas une espérance de vie très élevée. Mais ça a été dur aussi de tomber sur des personnes qui, elles, ne m’ont pas accueillie comme je l’avais imaginé. Je ne leur en veux plus. Cela a dû être très difficile de vivre avec elle et dans ce cadre là.


Enfin, trouver sa famille biologique c’est aussi un gros bouleversement; de tout d’un coup avoir des frères, des sœurs, qui ne sont pas de notre famille mais en même temps si, et avec qui finalement, on ne partage pas autant de choses que l’on aurait pensé à part de l’ADN. Il faut faire le deuil de relations que l’on n’aura jamais. Rencontrer sa fratrie une fois adulte, c’est différent d’avoir grandi avec. Mais il faut également faire le deuil de personnes parfois décédées, que l’on n’a jamais connues. Apprendre à rencontrer une tombe, et pas une personne.


Chose très taboue également, cela peut aussi être très perturbant voire violent de découvrir un milieu social fondamentalement opposé au nôtre et de découvrir la misère dans laquelle vivait une mère ou une famille biologique: qu’elle soit pécuniaire, intellectuelle, psychologique, ou médicale.


J’ai aussi découvert que certaines personnes étaient toxiques et ne me correspondaient pas, loin de l'idéalisation que les adoptés se font de leur famille génétique. Cela aussi, je pense qu'il faut en parler. Mais j’ai découvert des personnes que j’adore et dont je suis devenue proche. Pour les dernières, nous essayons de nous voir souvent car nous avons la chance de vivre à côté. Je n’ai pour l’instant pas de relation particulière avec mon père biologique, ni avec ses enfants, mais je suis ouverte à cette idée-là.


Je pense que les retrouvailles ont mis un terme aux grandes questions de mon existence, à savoir qui était ma famille, quelles sont mes origines ethniques exactes, à quoi ressemblaient mes parents, ou mes frères et sœurs et surtout à qui je ressemble. Ironiquement, la vie a fait que mon métissage ne me fait pas ressembler à grand monde dans ma famille biologique. Depuis, je vis mieux ma différence physique au sein de ma famille adoptive. Je suis apaisée sur ces questions même si j’ai beaucoup de chemin à faire. La quête identitaire a parfois été houleuse pour moi. Même si tout n’a pas été rose, je suis heureuse d’avoir terminé cette quête car je m’endors aujourd’hui sans les questions qui me hantaient depuis mes 4 ou 5 ans.


Quand je deviendrai maman à mon tour, mes enfants auront accès à leur généalogie biologique et adoptive, sans se poser les mêmes questions que moi.


J'ai imaginé ces retrouvailles très longtemps et spoiler: ça ne s’est pas du tout passé comme cela. Il n’y a pas forcément eu de pleurs ou de moments émotifs avec tout le monde. Je pense que les uns comme les autres, on passe avant tout par un état de choc, mais néanmoins, je ne regrette rien.


Mon auteur classique préféré est Emile Zola. J’ai longtemps réfléchi sur sa vision pessimiste du déterminisme, de dire que si il y a quelque chose de “pourri” et de “cassé” dans une lignée familiale, peu importe ce que l’on fait, cela va perdurer. Cela m’avait marqué dans sa saga des Rougon-Macquart. Je suis soulagée que mon histoire montre que parfois, il y a des exceptions. En tout cas, je me battrais pour rester une exception.


Au-delà de ça, je suis quelqu’un maintenant empreint de plusieurs cultures, langues, et qui porte l’Histoire de nombreux ancêtres à faire perdurer, autant dans ma famille biologique que dans ma famille adoptive.


Voir les souffrances dans ma famille biologique m’a permis de relativiser beaucoup d’expériences que j’ai vécues.

Je pense que mon histoire personnelle m’a appris la résilience, la persévérance, et le pardon. La résilience face à mes souffrances d'enfant adoptée, la persévérance face à la difficulté de trouver sa famille lorsqu’on est né sous X, et le pardon pour mes parents et ma famille biologique. Enfin, ma famille adoptive me montre tous les jours que la vraie famille c’est celle qui nous élève, qui nous voit au quotidien. C’est à elle que je ressemble le plus, et ces retrouvailles m’ont encore davantage rapproché d’eux, car ils m’ont énormément accompagnée et soutenue. C’était déjà le cas avant, mais aujourd’hui plus que jamais, je me sens ancrée dans cette famille, comme si c’était mon propre sang. Je suis le fruit de l'inné et de l'acquis. Oui, j'ai certaines similitudes physiques et psychiques avec ma famille génétique, mais quand on regarde mon caractère, mes goûts, mes valeurs, je suis avant tout la fille de mes parents, et la petite-fille de mes grands-parents.


L’accouchement sous X m’a enlevé le choix de savoir qui était ma famille biologique ou pas.

J’ai brisé cette absence de choix en la retrouvant, et maintenant, j’ai à nouveau le libre choix de construire ma vie avec des personnes saines que je choisis, qu’elles soient de ma famille adoptive ou biologique. Je vois donc l’avenir sereinement, et rempli d’amour aux côtés de mes amis, de ma famille, et de mon compagnon, en tant qu’avocate spécialisée dans les Droits de l’Homme, ou doctorante en Droit International Public pourquoi pas! Je souhaite toujours vivre entre le Gard et le Nord, et plus tard, me marier et fonder une famille. Pour terminer, je vois la fin de cette histoire comme le début des autres, des histoires de vie où je me sens enfin apaisée et complète.


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