Je m’appelle Michael et j’ai 28 ans. Je suis né le 1er mars 1993 dans les favelas de Cali, en Colombie. J’ai connu ma mère biologique mais je ne me rappelle plus de son visage. Un jour, lorsque j’avais 6 ans environ, la police nous a arrêté. Je pense que c’était à cause de notre condition. Ma mère était extrêmement pauvre et nous vivions dans la rue avec mon petit frère, qui a 2 ans de moins que moi. Comme j’étais petit, je ne m’en rendais pas vraiment compte. Un homme vivait aussi avec nous au moment de notre arrestation.
L’aide sociale à l’enfance nous a directement placé, mon frère et moi, en famille d’accueil. Nous étions ensemble. Nous avons été successivement dans deux familles d’accueil différentes. Nous allions parfois à l’orphelinat lorsque l’on avait rendez-vous avec notre mère. Elle avait le droit de nous rendre visite, mais ne pouvait pas s’occuper de nous. Je crois que l’on s’est vus deux ou trois fois. Je ne m’en rappelle plus très bien.

Un jour, on nous a annoncé que notre mère était décédée. Elle était gravement malade. Comme nous étions petits, nous ne savions pas vraiment ce qu’était la mort. On était choqués sans vraiment l’être. Puis, on nous a à nouveau convoqués à l’orphelinat pour nous demander si l’on souhaitait être adoptés. Les démarches ont commencé comme ça, avec les avocats, etc.
Quand mes parents sont venus adopter, nous sommes restés un mois ensemble, pour savoir s’ils s’adaptaient à nous et si nous étions bien avec eux. Au bout d’un mois, l’avocat est venu passer une journée avec nous pour discuter, voir si ça se passait bien avec cette famille. Mes parents voulaient m’adopter, l’avocat m’a donc demandé de manière très pédagogue si je voulais repartir avec eux.
« J’ai accepté mais j’ai dit que je ne partirais pas sans mon petit frère. Je ne laisse pas mon petit frère. »
J’ai choisi pour nous deux. C’était en 1999, j’avais 6 ans et demi et mon petit frère avait 4 ans. À cette époque je ne m’appelais pas Michael, mais Mickael, et mon petit-frère s’appelait Jefferson, mais mes parents l’ont appelé Jeff. On a aussi pris le nom de famille de nos parents adoptifs.
« J’ai vraiment de la chance d’être tombé sur des parents comme ça. Ils se sont toujours donnés pour nous. J’ai vraiment trouvé des parents adorables. »
On a dit à mes parents adoptifs que l’on avait été maltraités en famille d’accueil. J’en garde encore quelques images. Mes parents en ont parlé et ont même fait une lettre aux services sociaux pour que cette famille ne puisse plus accueillir d’enfants.
Finalement, j’ai grandi à Chartres. Ce sont mes parents qui m’ont appris à parler français puisque quand je suis arrivé je ne parlais qu’espagnol, l’espagnol d’un enfant de 7 ans. Ma mère est Iranienne et mon père est Français. J’ai reçu une très bonne éducation de leur part et je leur en remercierai toujours. Quand je suis arrivée en CE1, je savais déjà lire et écrire alors que je venais tout juste d’apprendre le français.
Des fois je me regarde quand même dans le miroir et je me demande à qui je ressemble. À mon père ? À ma mère ? Je me suis aussi déjà demandé si j’avais d’autres frères ou sœurs, peut-être des demi-frères. Je n’ai pas vu mon dossier d’adoption. Avec mes parents, on n’en parle pas beaucoup. Ils sont compréhensifs, je pourrais leur demander de me ressortir les dossiers, mais je n’ose pas trop. Ils ne nous en ont jamais vraiment parlé. Je comprends, ce ne sont pas des choses qu’on a envie de ressasser. Il faut tourner la page. Mais je comprends aussi les personnes qui en grandissant ont besoin d’obtenir des réponses.
« Je me suis toujours posé la question de savoir si mon père biologique était mort ou pas. Je me demande si ce serait bien de le retrouver. »
Je ne sais pas qui est mon père, je n’ai aucune information sur lui. Je n’ai même jamais demandé à mes parents si mon père biologique m’avait reconnu. Lorsqu’on s’est fait arrêter avec ma mère, il y avait cet homme. Il a été placé en prison. J’ai toujours demandé à mes parents si c’était lui mon père biologique, mais ils m’ont dit que non. Au final, je me demande si j’ai vraiment envie de le retrouver. Je ne sais pas si j’ai envie de chercher un père qui, peut-être, ne voulait pas être là pour sa femme et ses enfants. Finalement, je pense que ce n’est pas une bonne idée. J’ai mes parents adoptifs et je me suis fait à l’idée.

J’ai surement de la famille biologique en Colombie. Mais, ma mère avait l’air très isolée et je ne pense pas pouvoir retrouver facilement de la famille, ni même tout simplement des informations, au vu des quartiers dans lesquels on évoluait. Les favelas c’est vraiment un monde à part.
En tout cas, je n’ai jamais oublié la Colombie et je me dis qu’il faut absolument que je retourne faire un voyage là-bas. Je reste aussi Colombien. Comme mon petit frère qui met des drapeaux sur Facebook ! C’est un joli pays. Quand j’étais petit, mes parents m’emmenaient dans une association à Paris qui organisait des réunions ou des journées pour les enfants adoptés d’un même pays, pour que l’on se rencontre. Au final, j’ai quand même perdu pas mal au niveau de la langue, en apprenant le français et aussi parce que ma mère nous parlait perse à la maison. L’espagnol ce n’était plus qu’à l’école.
« La force que je tire de l’adoption c’est vraiment mes parents adoptifs ! Ce sont eux qui m’ont donné la possibilité d’avoir une autre vie. »
J’ai toujours demandé à ma mère pourquoi elle nous avait adopté. Elle m’a répondu qu’il y avait pleins d’enfants dans ce monde qui n’avaient pas de parents et qu’eux aussi méritaient une famille. Elle ne voyait pas pourquoi elle ferait des enfants alors que certains attendaient juste une famille. Et pour moi, ça c’est beau ! Je trouve vraiment qu’adopter un enfant c’est fort, je remercie tous les parents qui l’ont fait. C’est courageux de leur part. Je me suis toujours dit que, le jour où j’aurais ma copine, je ferai sûrement des enfants biologiques, mais j’adopterai aussi.
Et puis, plus ils grandissent, moins les enfants sont adoptés. J’avais 7 ans au moment de mon adoption. Je suis content d’avoir accepté cette famille. Je pense que si j’avais refusé, j’aurais surement mis plus de temps à trouver une famille. Mais j’ai bien fait, j’ai l’impression d’avoir gagné au loto ! Ils sont excellents ! Je pense que c’est aussi parce que pour pouvoir adopter, les personnes sont quand même triées. On peut donc tomber sur de très belles familles qui ont les moyens de nous élever dans de bonnes conditions.
Aujourd’hui, je suis militaire. J’ai choisi de défendre la France. Déjà, parce que mon grand-père adoptif l’était et je trouvais ça vraiment beau. Et aussi parce que je me sens redevable envers la France, même si je ne suis pas d’accord sur tout, j’y ai quand même été accueilli.
Pour finir je voudrais juste dire que je suis fier de mon pays ! Je suis aussi fier d’être Colombien ! Et force aux parents qui adoptent !